« Aujourd’hui, je signe cette lois au nom de ma mère, qui a du se battre avec les compagnies d’assurance pendant les derniers jours de son combat contre le cancer ». C’est ainsi que Barack Obama a parlé le 23 mars 2010, lors de la signature du Patient Protection and Affordable Care Act, une loi historique qui donne l’accès à l’assurance maladie aux Etats Unis à 32 millions de citoyens américains qui en étaient dépourvu.
Pendant sa campagne et après son élection, il n’y a pas eu un seul discours sur la reforme de l’assurance maladie qui ne mentionnait pas sa mère, Stanley Ann Dunham, anthropologue, idéaliste et militante du microcrédit, morte à 52 ans en 1995 d’un cancer aux ovaires. A’ l’époque du premier diagnostic, Stanley Ann était en train de changer de travail, et après des années de collaboration avec la Ford Foundation, elle allait rejoindre le Women World’s Banking qui finance des projets de microcrédit visant à sortir les femmes de la misère dans différents pays du monde. Un contrôle de routine à New York releva un problème aux ovaires. Après des années de travail à l’étranger, et dans un moment de transition d’un emploi à l’autre, Stanley Ann était dépourvue de couverture sociale aux Etats Unis. Elle repartit donc en Indonésie où elle pouvait se permettre de se faire soigner. Mais les médecins firent là-bas une erreur de diagnostic. Rentrée aux Hawaii, la où ses parents résidaient, déjà très malade, Stanley Ann mourut après un douloureux combat contre la maladie, mais aussi contre les compagnies d’assurance qui lui niaient l’accès aux soins dont elle avait besoin. Une blessure que Barack Obama, à l’époque avocat des droits civils et professeur de droit à Chicago, n’oubliera jamais.
C’est en 1995 que son premier livre, Les rêves de mon père (Paris, Presses de la Cité, 2008) sort aux Etats Unis, un drôle de titre pour une autobiographie en grande partie consacrée au souvenir de sa mère. Il écrit : « La plupart des personnages de ce livre font toujours partie de ma vie, mais il y a une exception : ma mère, que nous avons perdue brutalement, à la suite d’un cancer […] Elle voyageait à travers le monde, travaillant dans de lointains villages d’Asie et d’Afrique, aidant les femmes […] Je me dis parfois que si j’avais su qu’elle ne guérirait pas j’aurais peut-être écrit un autre livre, j’aurait rendu davantage hommage à celle qui était la seule constante de ma vie. Je ne sais pas essayer d’exprimer à quel point je pleure encore sa mort. Je sais qu’elle était l’être le plus noble, le plus généreux que j’aie jamais connu, et que c’est à elle que je dois ce que j’ai de meilleur en moi »
L’engagement d’Obama vis-à-vis de cette reforme a été crédible pour les gens car c’était un engagement non seulement au nom d’une vision politique, d’une idéologie, mais un engagement profondément personnel, une promesse faite à sa mère dans le désespoir de sa perte. La partie la plus vraie, sincère de ce brillant politique est enracinée dans son histoire, dans les valeurs de justice et de communauté que sa mère lui a inculquées tout au long de son enfance. Une femme libre, visionnaire, courageuse au point d’épouser un étudiant africain en 1960 et avoir un enfant avec lui, un choix qui était puni encore par la loi dans plus de la moitié des Etats Unis. Une vie d’études – sa thèse de doctorat en anthropologie vient d’être publiée (Surviving Against the Odds: Village Industry in Indonesia. Duke University Press, 2009), mais aussi d’engagement auprès des femmes pauvres, d’amitié et de solidarité avec les démunis, les malades, les enfants.
Les étapes de l’histoire sont écrites très souvent pour rendre des comptes à son histoire personnelle. La loi historique qu’Obama a fait passer au prix d’un dur combat politique s’inscrit dans l’histoire de sa vie, dans sa dette humaine et morale vis-à-vis de cette femme unique.